Arcy-sur-Cure. - La 13e campagne de fouilles des grottes d´Arcy-sur-Cure, dans l´Yonne, apporte encore son lot de surprises.
Au pied d´une falaise calcaire aujourd´hui recouverte de chênes, charmes et frênes, Michel Girard, préhistorien au CNRS et natif de la région, enfile une combinaison spéléo. « Vers 30 000 ans av. J.-C., après les néandertaliens, les premiers hommes modernes sont arrivés ici et ont construit des huttes près des abris-sous-roche, explique-t-il. Certains s´aventureront en profondeur dans la noirceur des grottes à l´aide de torches et les orneront. Gravées ou peintes, ces grottes serviront de sanctuaires réservés à la spiritualité, aux relations avec l´au-delà. »
Barbu, la soixantaine, Michel Girard participe à la 13e campagne de fouilles de la Grande Grotte d´Arcy-sur-Cure, au sud d´Auxerre, dirigée par Dominique Baffier, préhistorienne au CNRS. « Il a beau faire 28-30 °C au dehors, on a froid quand on travaille plusieurs heures dans une atmosphère humide – 80 % d´humidité relative – et fraîche de 12 °C en moyenne. » Longue de 500 mètres, divisée en deux branches comme un diapason, sombre mais jalonnée d´un éclairage au sol, la grotte est en réalité une succession de salles séparées par de multiples et impressionnantes stalagmites et stalactites formant toutes sortes de figures, qui évoquent la Vierge, un calvaire, une coquille saint-Jacques, une draperie ou une méduse.
Au moins deux lacs habitent ces entrailles. Une fois franchi un couloir aux parois curieusement creusées par l´eau de la rivière, comme si un homme l´avait taillé de milliers de coups de gouge, on pénètre dans l´avant-dernière anfractuosité : la salle des Vagues. La plus belle sans aucun doute, puisque c´est elle qui, malgré le nettoyage au Karcher malencontreusement réalisé en 1976, renferme le plus grand nombre de peintures et gravures. Il faut rappeler que les préhistoriens, notamment André Leroi-Gourhan, ont fouillé cette grotte, de 1946 à 1964, sans découvrir de fresques. Les quelques taches transparaissant sous le film plus ou moins épais de carbonate de calcium, de la calcite, avaient été décrites comme étant dues à la présence d´oxydes naturels. Ce n´est qu´en 1990, par hasard, à l´occasion du tournage d´une émission de télévision, qu´on découvrit l´existence d´un bouquetin peint au noir de charbon.
Des foyers d´éclairage datant d´environ 26 000-28 000 ans
à droite, au tombant d´une paroi portant des traces de mains d´adultes et d´enfants en négatif, un homme en salopette bleue creuse le sol très argileux à l´aide d´une truelle et d´une spatule. Il a déjà mis au jour des foyers d´éclairage avec des charbons de bois et quelques os d´ours portant des traces de pigments colorés. L´analyse au carbone 14 a révélé qu´ils dataient d´environ 26 000-28 000 ans. Entre deux conversations, alors qu´on s´attendrait à un silence quasi religieux, on perçoit du fond de la salle un bruit lancinant rappelant les stridulations d´une cigale. C´est la fraiseuse d´Eudald Guillamet, spécialiste andorran qui a déjà restauré la grotte de Rouffignac, en Dordogne : il « décape » très précautionneusement les peintures qu´il a, le plus souvent, repérées auparavant grâce aux techniques de photographie infrarouge ou ultraviolette.
Coiffé d´un bob et portant un masque pour éviter de respirer la poussière, Eudald opère comme un chirurgien-dentiste. « C´est physiquement éprouvant : une main pousse l´outil, tandis que l´autre le retient. Parfois même, il faut travailler à la loupe, dit-il. Après avoir testé des méthodes chimiques (des compresses imbibées d´un acide) ou laser, j´ai opté pour l´abrasion mécanique, modulable grâce aux différentes fraises et aux vitesses réglables, et surtout plus maîtrisable. » Un exercice qui demande d´autant plus d´habileté et de concentration que l´épaisseur et la densité de calcite varie d´un endroit à l´autre en fonction de la porosité de la roche, des courants d´air et des écoulements d´eau.
En fait, Eudald n´enlève que la première couche de calcite blanche, opaque – elle peut atteindre jusqu´à 5 mm d´épaisseur – et laisse la sous-couche fine jaune mais transparente qui, finalement, protège les peintures. « à Arcy, sur environ 140 représentations graphiques identifiées à ce jour, nous avons essentiellement des animaux dangereux (mammouths, ours, rhinocéros, félins), très peu de grands herbivores (bouquetins, cerfs megaceros, chevaux, bisons acéphales) et des animaux rares (oiseaux, poissons), sans oublier des signes abstraits, explique Dominique Baffier. Le grand ours, par exemple, a été découvert un peu par hasard, en développant une photo sur laquelle il était parfaitement cadré », poursuit-elle.
La signature d´un artiste ou d´un groupe d´artistes
Mais si le bestiaire est déjà très riche, ce n´est pas l´essentiel. « Ce qui est plus intéressant, c´est de comprendre la technique utilisée par les peintres et le style de ces peintures. Par exemple, la ligne de dos des mammouths est souvent doublée et celle du ventre, arrondie, caractérise une peinture ancienne d´il y a plus de 25 000 ans. Ou encore, la ligne de front se courbe pour former la défense au lieu de rester droite pour constituer la trompe. Il y a là comme une anomalie anatomique, une licence artistique, qui nous permet de dire que nous avons affaire à un style d´Arcy, à la signature d´un artiste ou d´un groupe d´artistes », commente la spécialiste de peintures pariétales.
L´épaisseur des traits suggère même l´utilisation de pinceaux. D´ailleurs, à partir de microprélèvements dans les pigments d´ocre utilisés pour représenter les mains, les archéologues ne désespèrent pas de pouvoir un jour analyser des restes d´ADN des auteurs, puisque, projetés selon la technique du « crachis », ces pigments pourraient contenir quelques fragments de cellules buccales. Et, peut-être, mettre ainsi en évidence une filiation entre les artistes. En attendant, il y a encore beaucoup de travail. Parce que la mise au jour des peintures et gravures est longue.
« Il m´a fallu trois ans, à raison d´un mois de chantier par an, pour dévoiler complètement le grand mammouth de plus de huit mètres de long », précise Eudald. Les fouilles se termineront en 2005. « Nous prendrons encore un an pour vérifier ce qui nous semble douteux, puis nous rédigerons et publierons dans des revues scientifiques. Il faut savoir s´arrêter un jour », conclut Dominique Baffier. Le public sera alors le seul admirateur des splendeurs de la Grande Grotte d´Arcy-sur-Cure.
Denis Sergent.