Revue de Presse

Arcy-sur-Cure : La grotte miraculeuse

Le Nouvel Observateur, n° 1506, édition du jeudi 16 septembre 1993.

Arcy-sur-Cure. - Les vieilles statues de nos villes, rongées par la pollution, viendront-elles toutes un jour en cure de jouvence dans le « lac des Fées » d'une petite commune de l'Yonne ?

« Nous sommes ici depuis plus de mille ans, dit le comte Gabriel Mallard de La Varende, alors nous avons le droit de nous considérer comme les gardiens du pays. » « Nous », c´est-à-dire lui, sa lignée, issue entre autres des Montmorency-Laval. Plus une poignée d´héritiers, copropriétaires indivis. Qui lui ont déjà fait, jusqu´ici en vain, soixante et un procès pour le déloger de son château du Chastenay, à Arcy-sur-Cure (Yonne). Un joyau du XVIe siècle (il dit : « ma maison »), qu´il restaure avec amour depuis vingt ans. « Le pays », ce sont les quelques milliers d´hectares dont « nous » sommes propriétaires, et qui incluent notamment les grottes d´Arcy, une des grandes attractions touristiques de l´Yonne, que visita déjà Buffon.

Donc, nous avons le château du Chastenay et les grottes d´Arcy. Les deux sites, distants de quelques kilomètres, ont certes le point commun d´être possédés par « nous ». Mais il y a entre les deux beaucoup d´autres correspondances, mystérieuses et palpitantes. « Ma maison, dit le comte de La Varende, est une demeure alchimique. » Schémas à l´appui, il le démontre en décryptant les « nombres d´or » et les alignements cosmiques auxquels obéit son architecture, selon une harmonieuse combinatoire dans laquelle on retrouve carrément les caractéristiques numériques de la pyramide de Khéops elle-même.

D´ailleurs, au sommet d´une des tours de sa « maison », le comte accepte parfois de montrer au visiteur le laboratoire d´alchimie, avec sa lucarne pointée de telle sorte que le soleil éclaire l´âtre à midi les jours de solstice.

Les grottes : elles venaient d´être classées monument historique, car, à la faveur d´un vigoureux nettoyageentrepris dans le modeste but de rendre les stalactites plus clinquantes, on y avait découvert, en 1990, une profusion de gravures et peintures rupestres (mammouths, rhinocéros laineux, ours, etc.) vieilles de 18000 ans. Les grottes d´Arcy, de simple curiosité spéléologique, avaient donc été propulsées d´un seul coup au statut de sanctuaire préhistorique, comme Lascaux.

Mais voici qu´un miracle encore plus sensationnel vient de s´y produire : avec la collaboration du ministère de la Culture (laboratoire de recherche des Monuments historiques de Champs-sur-Marne), une équipe scientifique dirigée par le professeur Jean-Pierre Adolphe, du GERME (Groupe d´Etude et de Recherche sur les Milieux extrêmes), a identifié, dans un lac souterrain des grottes d´Arcy, des bactéries des genres Bacillus et Pseudomonas qui révolutionnent tout ce qu´on croyait savoir sur la formation des roches calcaires.

Stalactites tombent, stalagmites montent

Certes. Mais il est désormais évident, grâce à la découverte d´Arcy-sur-Cure, qu´il ne s´agit pas d´une simple minéralisation du calcaire véhiculé par les gouttes d´eau. Ce n´est pas un bête dépôt de tartre : la minéralisation ne se produit que par l´entremise de bactéries friandes d´ions calcium, lesquelles ne fonctionnent que quand elles sont nourries. On parle désormais de « biocalcification », ou de « biosynthèse carbonatée ». Une révolution. On comprend enfin pourquoi, au mépris des lois de la gravité, certaines stalactites (ou -mites) ne poussent pas droit : les colonies bactériennes ont parfois des fantaisies. Conclusion : si les stalactites restent, quelques certitudes tombent. La constitution de ces concrétions calcaires n´obéit pas seulement au morne métronome de la chute des gouttes. Donc on ne peut plus dire des choses comme « un centimètre par siècle ». Tout dépend des bactéries, de leur plus ou moins grande activité, en fonction des nutriments organiques disponibles. L´âge des stalactites, c´est désormais comme l´âge du capitaine : très variable.

Mieux : ce truchement bactérien dans la constitution des couches calcaires a probablement valeur générale. Ne se limitant pas à l´édification des stalactites (-mites), il a dû intervenir partout et toujours dans toutes les sédimentations calciques. D´ailleurs, depuis qu´on s´est mis à les chercher, on trouve des fossiles de « bactéries calcifiantes » dans toutes les roches calcaires.

Oui, mais il a été découvert dans les grottes de Gabriel Mallard de La Varende. Lequel a immédiatement fait baptiser « lac des Fées » l´étang souterrain dans lequel ces « bactéries bâtisseuses » ont été identifiées pour la première fois. Encore plus fort : il a obtenu que, sous contrôle d´huissier, une tête de statue du XIXe siècle, provenant d´une des façades Napoléon III du Louvre, fortement dégradée par la pollution parisienne, soit immergée jusqu´à la fin septembre dans son « lac ». L´objectif est de démontrer que, par la magie de la biocalcification, on peut restaurer les statues dégradées par la pollution, et rendues trop friables. Y déposer, de façon naturelle, une solide couche protectrice.

La postérité (et l´huissier) jugeront. M. le comte est fier d´avoir inventé l´expression « bactéries bâtisseuses » Fier surtout d´avoir « réussi une superbe opération médiatique, montée à partir de rien sauf la vérité scientifique ». En effet, les télévisions du monde entier se sont bousculées cet été dans les grottes d´Arcy, sur le bord du lac des Fées et au « château alchimique » du Chastenay. La recalcification des statues en péril, par immersion dans le lac magique, a fait l´objet- en plus du dépôt de calcium- d´un dépôt de brevet. Même la Fondation scientifique Philip Morris (des cigarettes) soutient ce projet pas du tout fumeux. Toutes les statues de la vieille Europe, dégradées par la pollution, viendront-elles un jour ici, à Arcy-sur-Cure, en cure de jouvence ? D´avance, le comte de La Varende se frotte les mains.

C´est évident, elle est géniale, sa grotte ! Déjà, avant le gadget de la statue à recalcifier, il avait cent mille visiteurs par an- à 32 francs le billet. Or il en aura de plus en plus : après le classement monument historique, il vient d´obtenir l´apposition d´un panneau sur l´autoroute. Il constate : « L´alchimie connaissait deux voies distinctes. La voie ignée - par le feu. Et la voie humide. » Or, par le lac des Fées, la voie humide, avec ses magiques dépôts de calcium, a magnifiquement réussi.

Entre les grottes et le château, la boucle est bouclée. Mille ans après, Gabriel de La Varende a débusqué la pierre philosophale que cherchaient ses ancêtres. « Ils ne voulaient pas l´or, mais la sagesse »

Le comte Gabriel a trouvé les deux.

Fabien GRUHIER.

Article mis en ligne le : 17 avril 2008