« … pénible réveil à 6h30. Dehors, un temps de chien, grand vent et pluie ; je suis bien obligé d'admettre qu'il faut renoncer à partir maintenant. Vers 9h30, la pluie a cessé, mais le vent est toujours aussi déchaîné. Tant pis, je ne peux pas louper cette descente. Il me faut presque deux heures pour faire mes dix-huit kilomètres, arc-bouté sur mon vélo, ou le plus souvent, marchant à côté. Enfin j'arrive, il est prêt de 11h30. »
Nous sommes le 11 février 1950. En vélo et sous un vent tempétueux, Jean-Pierre JEANNET, habitant de Charbuy, vient de relier Saint-Aubin-Château-Neuf pour rejoindre un groupe d'amis.
« Les puisatiers qui discutent autour du treuil m'apprennent que le dernier "explorateur" est descendu il y a à peine un quart d'heure ! […] Enfin, je ne suis tout de même pas venu là pour rien. Je me mets rapidement en tenue […] J'enjambe la margelle. OK ! Vous pouvez descendre. Ma première impression est la profondeur du puits. Tout en descendant, je me rappelle les conseils d'en haut : suivre le fil du téléphone, en remontant le courant. »
Cette scène se passe au beau milieu du village de Saint-Aubin-Château-Neuf, à 350 m de l'église, dans la cour d'une ferme. Le puits, profond de 28,40 m, a été creusé vers 1850 et a recoupé une rivière souterraine. Au milieu du 20e siècle, les spéléologues s'intéressent à cette grotte. Ainsi, le 11 février 1950, la Société d'Archéologie de Sens effectue une exploration et les premières observations scientifiques de la rivière. M. JEANNET y participe en compagnie de vingt autres personnes, venues d'horizons différents : explorateurs, hydrologues, photographes ou géomètres… Le maire de Saint-Aubin a donné l'autorisation d'une telle expédition mais en précisant « à vos risques et périls et en vous munissant du matériel nécessaire ».
Au bas du puits, le plafond varie de 1,50 m à 2 m de hauteur. Mais en remontant la rivière, il s'élève régulièrement jusqu'à dépasser 19 m de haut ! Par contre, la galerie n'est large que 1 m à 2 m. Elle se parcourt constamment les pieds dans l'eau, et ce, sur plusieurs centaines de mètres.
« Cinq ou six personnes sont là qui prennent des mesures, calculent les angles de marche. […] J'apprends que l'appareil photo a pris un bain. Tout le monde a des photophores et je crois que c'est l'idéal. »
Les photophores ici désignés sont des lampes à acétylène, utilisées jusqu'à la fin du 20e siècle par les spéléologues.
« Maintenant le plafond est très haut, parfois une dizaine de mètres. En se retournant, c'est magnifique : on découvre tous les détails des anfractuosités éclairés en différents plans par chaque photophore. En vérité, je n'ai jamais rien vu de pareil. […] Nous arrivons tout à coup sous une pluie battante. L'explication ? Ma foi, je suppose qu'une source plus haute a fini par crever le plafond à force de saper son lit. C'est une bonne douche gratuite. »
Nous sommes à 300 m de l'entrée, en un des endroits où la voûte est la plus élevée. La présence de cette « douche » est liée aux conditions météorologiques : en période sèche, pratiquement aucune eau ne tombe du plafond. Au-delà, l'exploration se fait facilement, dans une rivière relativement calme jusque vers 450 m du puits d'accès.
« Nous arrivons à une première marmite, cavité ronde pleine d'eau, d'environ deux mètres de diamètres. Malgré la profondeur de l'eau, nous passons en nous accrochant aux prises de la paroi de droite. […]. Plus loin une autre marmite. Grâce aux explications d'un sympathique explorateur qui attend de l'autre côté, nous passons sans trop de mal, cette fois-ci à la paroi gauche. […] Nous arrivons à la troisième marmite, cette fameuse marmite impossible à passer sans prendre l'eau ».
Les marmites sont de gros trous, profonds d'un peu plus d'un mètre où l'eau coule bruyamment en cascades.
« Nous arrivons au but […] Je m'aperçois que j'ai une faim de loup ! Vite je me case et m'apprête à manger un peu d'aliments et beaucoup de boue. […] C'est un repas à dix pieds sous terre dont je me souviendrais. […]. Mes trois compagnons de route continuent jusqu'au siphon proche de là, puis reviennent manger. »
La rivière souterraine peut être parcourue sur 700 m, jusqu'à un siphon trop étroit pour être franchi.
Trente mètres en aval, une escalade d'un peu moins de 4 m de hauteur permet d'accéder à un réseau de galeries sèches, appelé « réseau fossile ». La visite y est moins plaisante, souvent à quatre pattes ou à plat ventre dans de la boue liquide. Ces galeries permettent néanmoins de retrouver la rivière qui circule alors dans une galerie basse d'à peine 1 m de hauteur.
« Après une goutte d'eau-de-vie et une cigarette, nous repartons vers le point de départ. […] Pour moi, le retour est caractérisé par une série de douches. En particulier dans une marmite, jusqu'à la ceinture. […] Les bottes pleines d'eau me pèsent, et je commence à être fatigué. Enfin, nous arrivons au fond du puits. C'est un vrai plaisir que de se faire hisser bien assis au-dessus du vide. En débarquant en haut, il fait froid. Vite nous nous lavons et enfilons nos vêtements de rechange. La réaction est formidable. Bien installé au chaud autour de la table de la fermière devant un jus réconfortant, nous commentons "notre exploit" »
Dehors, le temps est toujours tempétueux.
« Heureusement, le vent n'avait pas changé, et il m'a beaucoup aidé pour rentrer ! »
L'ensemble des galeries représente un réseau long de 2115 m intégralement topographié en 2000 et 2001 par le Spéléo-Club de Chablis. Cette rivière souterraine, dite du « Puits Bouillant » (1), est ainsi une des plus longue grotte connue dans le département de l'Yonne. Elle se situe à 15 km de Charbuy où aucune cavité n'est recensée, si ce n'est la présence d'une « Carrière souterraine les Vieux Champs » (2). Pourtant, plus de quatre cents grottes ou gouffres (3) ont été explorés dans le département.
Si ce 11 février 1950, M. JEANNET est arrivé difficilement en vélo et bon dernier à Puits Bouillant, il fera parti des quelques explorateurs qui auront alors la chance de parcourir intégralement la rivière souterraine. Ainsi, il croisera l'ensemble des équipes présentes, certaines enlisée, d'autres empêtrés dans les mesures…
De retour chez lui à Charbuy, il relatera cette aventure dans un document manuscrit de 6 pages dont nous avons extrait ici quelques passages, et qu'il nous a aimablement remis lorsque nous l'avons rencontré en 2004, chez lui à Saint-Georges-sur-Baulche.
Bruno Bouchard