FOUILLES - EN DÉPIT DE NOMBREUSES RECHERCHES, « LA SOURCE LA PLUS CÉLÉBRE DE L'YONNE » CONSERVE SON MYSTÈRE
« Un casque de la guerre de 1914, des fragments de pipes en terre, des tessons de faïence et de porcelaine, quelques pièces de menue monnaie contemporaine et des tessons de canettes tout aussi actuels, mais rien d'ancien ; à peine si, parmi la porcelaine, on peut dater certains morceaux du XVIIe siècle, en se fiant au diagnostic d'un spécialiste local, toujours enclin à retrouver partout des reliques de l'époque chère à son coeur... ». Songeur et désabusé, en ce lundi 23 février 1987, le président de la Société d'archéologie de Tonnerre contemple cet empilement de cageots où s'entasse une multitude d'objets hétéroclites que des archéologues subaquatiques viennent d'extraire de la Fosse Dionne à grand renfort de moyens techniques exceptionnels.
Les hommes l'ont aménagée pour les besoins en eau de la cité et du château bâtis sur l'éperon rocheux qui domine sa vasque
Une fois de plus, un rêve s'écroule pourtant fondé sur des hypothèses plausibles ; par sa position, le caractère pérenne de son débit, sa configuration de gouffre aux profondeurs abyssales, la Fosse Dionne n'est-elle pas « la source la plus célèbre de l'Yonne » (1) ? Dès la plus haute antiquité, les hommes se sont rassemblés autour d'elle qui était alors à l'état de marécage puis ils l'ont aménagée pour les besoins en eau de la cité et du château bâtis sur l'éperon rocheux qui domine sa vasque. Un tel passé laisse espérer qu'au fil des siècles se soient accumulés des restes des activités quotidiennes. Nos ancêtres n'ont pas manqué d'expédier après usage dans ce gouffre alors réputé sans fond, les objets dont ils ne voulaient plus et qu'auraient pu retenir les étroitures qui ponctuent le circuit des galeries souterraines. La remontée éventuelle de ces objets permettrait de mieux situer les lieux : « En effectuant des sondages, on pourrait établir une stratigraphie des objets manufacturés tombés ou jetés clans la Fosse. On pourrait grâce à ces objets, dater l'utilisation de la source : antiquité ? protohistoire ? » argumentent les archéologues (2).
De surcroît, le nom de Dionne renvoie à un toponyme gaulois exprimant l'idée de « source sacrée », d'une fontaine habitée par quelque divinité ou génie du lieu vénéré d'abord par les Gaulois indépendants puis longtemps après par leurs descendants (3). La sacralisation des sources est un processus banal surtout sur les plateaux arides du Tonnerrois. Des fouilles ont révélé, à proximité de ces eaux consacrées, des témoignages de cultes antiques. Ainsi, en se limitant aux vallées de l'Armançon et du Serein, à Bussy-le-Grand, on a retrouvé dans la fontaine Sainte-Marguerite, des médailles romaines et des épingles de bronze et d'os ; à Givry, les alentours de l'église bâtie sur une source ont livré des vestiges gallo romains ; de même à Ligny-le-Châtel autour de la fontaine des Fées. À Censy, près de Noyers, l'archéologue Duchatel a exhumé une statuette d'Epona dans le voisinage d'une source et d'un édicule, peut-être un temple À Tonnerre même, sur la rive droite de l'Armançon, lors des travaux du Canal de Bourgogne, des terrassiers ont trouvé les fragments d'un cavalier où les spécialistes ont reconnu un « cavalier à l'anguipède », couple de divinités gauloises comprenant un cavalier, divinité solaire dont les sabots de la monture font jaillir une source et un monstre moitié humain moitié serpent, symbole des eaux souterraines (4).
Le tronc Informe d'une statue
Mais la Fosse Dionne n'a livré aucune trace d'une divinité antique. Les chroniqueurs anciens ne relèvent qu'un seul indice : en 1731, à l'occasion des travaux d'aménagement du lavoir, on a découvert le tronc informe d'une statue. Faut-il rapprocher cette trouvaille d'une tradition qui prétendait qu'une grille donnant accès à la source était jadis surmontée d'une statue de Neptune ? Dès 1750, l'historien Cerveau doute de l'existence de ce Neptune (5). Le fragment de statue n'appartiendrait-il pas plutôt à l'effigie d'une antique « dame des eaux »?
En tout cas, ce tronc informe rappelle une autre « pierre sculptée » qui joue un rôle dans un épisode tragique de l'exploration de la Fosse. Peut-être est-ce le même fragment ? Le 15 juillet 1962, deux plongeurs troyens, Hervas et Dufour, repèrent, lors d'une première plongée. * une pierre sculptée pouvant présenter un intérêt archéologique ». Ils plongent une seconde fois pour aller amarrer cette pierre qui sera hissée à l'aide d'une corde par leurs camarades restés en surface. Dix minutes après, le signal de remonter la pierre parvient en surface et on la hisse doucement jusqu'à ce qu'une résistance anormale soit ressentie. La pierre était sans doute accrochée à une aspérité de la roche. On la redescend avec prudence. Mais on ne recueille plus aucun signal des plongeurs que leurs camarades retrouvent inanimés dans le fond. Ils décèdent le soir même. On se perd en conjectures sur les causes de ces décès. Mais plus jamais on ne reparle de la mystérieuse « pierre sculptée ».
Trois poubelles de morceaux de terre cuite
Pourtant à partir de 1976, les descentes effectuées par les spéléologues se multiplient, Certes, leur objectif principal vise à franchir progressivement les étroitures sévères. à explorer les puits et diaclases nombreuses afin d'établir un relevé topographique des conduits « en montagnes russes ». travail que rendent difficiles le courant violent, les chatières, la présence constante de glaise qui annule toute visibilité et impose un travail périlleux. Mais certains spéléologues ne perdent pas de vue l'intérêt archéologique : en septembre 1977, les frères Le Guen remontent quelques fragments de poteries ; en janvier 79, des plongeurs parisiens consacrent leurs efforts à la collecte d'objets ; ils remontent trois poubelles de morceaux de terre cuite ou de pitons de fer et ne cachent pas leur déception (6).
Des suceuses à air et à eau
En février 1987. une association d'archéologues subaquatiques met en oeuvre des moyens gigantesques. Un carré de fouille métallique est disposé à huit mètres de fond, à l'entrée de la grotte, surplombé d'une imposante suceuse à air que prolongent de gros tuyaux. Un second carré de fouilles repose près de la margelle du lavoir équipé d'une suceuse à eau, L'opération s'effectue sous les regards des caméras de FR3 et se déroule durant les nuits des 20 et 21 février. Des projecteurs achèvent de rendre le cadre lunaire. Dix-neuf fouilleurs opèrent en rotation, assistés de deux plongeurs cameramen. Va-t-on enfin retrouver des objets « parlants », traquer la divinité tutélaire ? Les procédés dépassent Ies initiatives humaines précédentes. Sur le plan quantitatif, le butin est spectaculaire. Une très belle collection d'objets divers, mais tous récents et sans intérêt archéologique : remisés dans le grenier de la Société archéologique, ils dorment au milieu de l'indifférence générale.
Les géologues ont quasiment percé le secret de l'alimentation en eau de la Fosse (7). Les spéléologues ont exploré les galeries jusqu'à 360 mètres de l'entrée et — 61 mètres de profondeur. Mais les archéologues ont fait chou blanc, Tout porte à croire que, dans ce domaine, La Fosse gardera ses secrets.
J.P. Fontaine
(1) Chabert et Maingonat : Grottes et gouffres de l'Yonne, p. 266.
(2) Opération Tonnerre dans Études et sports sous-marins citée dans les sources.
(3) P. Millat : Les eaux souterraines du sud de l'Yonne.
(4) G. Drioux : Cultes indigènes des Lingons. Épona : déesse gauloise des cavaliers et des chevaux, mais aussi déesse de la prospérité, des sources et secourable aux défunts. Sur la trouvaille de Tonnerre ; E. Espérandieu. Recueil général... article 7156.
(5) E.D. Cerveau : Mémoires sur Tonnerre (Ed. SAHT), p- 279.
(6) L'Yonne Républicaine du 30-01-79 : Fouineurs déçus.
(7) J.-P. Loreau et collaborateurs : Une faille dans de mystère de ta Fasse Dionne, dans recueil SAHT cité Infra.
Sources : Tonnerre, de la Fosse Dionne à Saint-Pierre, recueil d'études rassemblées par J.-P. Fontaine et publiées par la SAHT 1997 : sur les fouilles de 1987. Opération Tonnerre sur la Fosse Dionne dans Études et sports sous marins, n' 92. mai juin 1987.